L'EXPOSITION >

  > Monument à Jacques Cartier, 1905, Saint-Malo

Monument à Jacques Cartier, 1905, Saint-Malo

Si la figure de Jacques Cartier, le « Découvreur du Canada » est aujourd’hui bien honorée au sein de l’hagiographie patriotique française, ce symbole est cependant récent. Ayant été relativement oublié au profit d’autres figures de la colonisation, il ne réapparaît vraiment qu’au cours du XIXe siècle, notamment au sein des élites francophones du Canada comme le représentant de la France et du catholicisme dans une province en plein effervescence nationaliste.
Dès 1834, est en effet envisagé la réalisation d’un monument en son honneur; monument qui ne sera érigé en fait qu’en 1889, à Québec. Sachons qu’entre-temps la mémoire du navigateur avait été entretenue par le baptême de nombre de lieux à Québec et Montréal ainsi que par un portrait peint par Jacques Hamel vers 1844 et inspiré d’une toile de François Riss (réalisée en 1839) qu’il avait découverte à Saint-Malo (disparue depuis). Cette œuvre connaîtra une célébrité certaine puisqu’elle est devenu en quelque sorte le visage officiel du Malouin.

C’est très certainement sous l’influence de ce courant de reconnaissance, et grâce à la visite de la première délégation franco-canadienne en 1891 que la France redécouvre officiellement Jacques Cartier. Honoré Mercier, alors Premier ministre du Québec l’avait conduite à Paris, Chartres, Tourouvre (voir XIXe siècle : « Vitraux de l’église Saint-Aubin de Tourouvre : en l’honneur des Mercier ») ainsi qu’à Saint-Malo. C’est dans la cathédrale Saint-Vincent qu’il avait fait dévoiler une plaque en l’honneur du marin.
Cette cérémonie, associée aux célébrations du quatrième centenaire de la Découverte de Christophe Colomb inciteront l’année suivante le chanoine Bourdon à proposer la réalisation d’un monument malouin dédié à Cartier. Une souscription ouverte dès 1897 puis la formation de deux comités (l’un local et l’autre franco-canadien) permettent de lancer un premier projet proposé par Pierre-Marie François Ogé dont on connaît au moins une épreuve. Celui-ci sera finalement repoussé par le Comité et la commande attribuée à Georges Bareau.
Le monument fut inauguré le 23 juillet 1905 au cours de festivités spectaculaires qui durèrent trois jours : concerts, feux d’artifices, fanfares militaires et hommages de la Flotte et de l’Armée, grand-messe dans la cathédrale, soirées de gala, pèlerinage au manoir de Limoënou (demeure de Cartier), sans omettre bien sûr les nombreux discours lyriques et patriotiques devant les représentants de l’État et du Canada français.
Cet ensemble de cérémonies peut être considéré comme la première manifestation officielle (impliquant les corps constitués) dédiée à la Nouvelle-France, plus de cent quarante ans après sa disparition. Outre l’enjeu de profondes rivalités locales (notamment celles opposant les Républicains anticléricaux aux traditions catholiques de la région), elle fut également un savant dosage diplomatique, chantant la gloire de l’Amérique française sans heurter les intérêts du condominium britannique et de l’Entente cordiale (1904) :
« …Le Canadien-Français n’a qu’à se féliciter de la générosité de la couronne britannique, qui lui a sauvegardé son caractère national, sa langue et sa croyance religieuse. Sa loyauté pour sa patrie d’adoption n’a jamais été mise en doute, mais son amour pour la France, le pays de ses aïeux, ne périra jamais. »… (Discours de L.-J. Ethier, représentant la ville de Montréal, prononcé lors des cérémonies : voir Thiercelin en bibliographie).

La statue en bronze (réalisée dans les ateliers de la Fonderie d’art du Val d’Osne à Paris) en est probablement le reflet, montrant non pas le « Découvreur » et moins encore le « Fondateur de la Nouvelle-France », mais le courageux marin, tête nue, affrontant les éléments, le regard tourné vers l’horizon. Cartier est ici à la barre de La Grande Hermine, principale nef de la flottille ayant appareillé le 16 mai 1535, lors du deuxième voyage.
Artiste breton ayant beaucoup travaillé pour sa région d’origine et notamment pour Nantes, Georges Marie Valentin Bareau (1866-1931), aujourd’hui oublié, est l’un de ces nombreux sculpteurs employés par la jeune troisième République alors en mal de représentations patriotiques et édifiantes. Son Jacques Cartier en est un bon exemple, à la fois lyrique et vériste dans la droite ligne des commandes officielles. L’oeuvre qu’il réalisa est visiblement inspirée des vers de Théodore Botrel, poète breton et principal artisan de cette opération, et qui figurent au pied du monument :
«  Le front nu, bravant les tempêtes
Vêtu de lourdes peaux de bêtes
La hache d’abordage au flanc
Il écoute sous les étoiles
La brise rire dans ses voiles
Et chanter dans son drapeau blanc. »

Quelques années plus tard, la statue sera redisposée sur un socle plus imposant. Curieusement, elle sera alors tournée vers la ville…

Sources : Braudel, 1984 ; Cartier, 1545 ; Gagnon et Petel, 1986 ; Prével-Montagne, 2002 ; Thiercelin, 1905.