PRÉSENTATION

Par son éloignement, par sa géographie, par la nature et le passé des hommes qui l’ont peuplé, le monde américain, depuis maintenant cinq siècles, n’a cessé d’occuper une place bien particulière, marquée par l’histoire et les mentalités de l’Ancien monde.

Ainsi depuis la Découverte (terme ô combien ethnocentriste), les Amériques (car elles sont plurielles) ont été vues, décrites, imaginées, interprétées à l’aune des pôles d’intérêts tant politiques qu’intellectuels qui ont orienté notre Vieille Europe. Attirant les aventuriers, les conquérants et les élites, inspirant les artistes et les lettrés, fascinant les religieux, les philosophes et les hommes de science, touchant même un public populaire friand de sauvagerie, de découvertes spectaculaires et de catastrophes finales, le Nouveau monde a donc été vêtu, recouvert, masqué de multiples façons d’une image mouvante et sans cesse renouvelée¹.

Car l’Amérique a une image et cette image a une histoire. Elle est le reflet du regard porté par l’Europe au cours des temps, lentement élaboré des deux côtés de l’Atlantique, et dont les causes sont multiples et variées : découvertes géographiques, fantasmes et mythes créés par l’inconnu ou l’incompris, attrait des richesses et de l’invraisemblable, conquêtes coloniales, etc.

Au sein de cette évolution, la Nouvelle-France occupe en France une place toute particulière, issue des multiples témoignages venus du continent : récits de conquêtes, de voyages et d’explorations (authentiques ou inventés) ; issue d’objets rapportés en nombre : œuvres « d’art » ou simples témoins de la vie quotidienne du monde indien ; issue enfin des oeuvres produites sur le sol français : essais philosophiques et romans d’aventures, sculptures et peintures, pièces musicales et opéras, décors de spectacles, illustrations populaires, plus tard photographie, cinéma et publicité ; sans omettre bien sûr  les contrefaçons et les faux, ni ces curieuses productions se voulant indiennes ou « sauvages », destinées à plaire plus qu’à tromper : les américaineries.

Est donc ici proposée, au sein du portail « Mémoires – Amérique française » de la Commission Franco-Québécoise sur les Lieux de Mémoire Communs, cette exposition sur l’évolution de la représentation de l’Amérique française dans les arts français.

 

Les frontières de la Nouvelle-France
Les limites de l’espace que l’on a coutume d’associer à la Nouvelle-France sont traditionnellement difficiles à cerner : frontières orientales sans cesse disputées avec les colonies anglaises, marches du sud-ouest (bordant territoires espagnols) floues, méconnaissance des régions au-delà du Mississippi malgré les contacts avec les Indiens des Plaines et les informations rapportées par les coureurs des bois. Dans le cadre de l’exposition, est donc prise en considération l’extension maximale de l’espace de la Nouvelle-France, en trois cercles concentriques :

– Le Bassin du Saint-Laurent, depuis son estuaire jusqu’aux chutes inférieures des Grands Lacs. Ce « cœur » de la Nouvelle-France et lieu majeur de l’histoire du peuplement français et des relations  franco-indiennes est, bien entendu, l’espace privilégié dans ce projet.

– Placés de part et d’autre du « cœur », comme les poumons d’une entité organique, deux espaces sont associés : à l’Ouest, les territoires des Grands Lacs (territoires de la traite des fourrures et porte du continent) ; et à l’Est, l’Acadie et l’archipel du Saint-Laurent et de Terre-Neuve (zones de pêche et façade atlantique ouverte sur le Vieux monde).

– Ce troisième cercle inclut en fait deux vastes entités géographiques et culturelles particulières : d’une part, le Bassin du Mississippi, parcouru par les Français dès la seconde moitié du XVIIe siècle et servant de lien avec la Louisiane historique, autre visage, méridional, de cette Nouvelle-France ; d’autre part, les territoires de l’Ouest, bien au-delà du grand fleuve et limites extrêmes de la pénétration française dans le continent.

Enfin, et bien que culturellement et linguistiquement « étrangère » à la Nouvelle-France, la Floride ne peut être ignorée : lieu des tentatives d’installation de colons français au milieu du XVIe siècle.

 

Les périodes de la Nouvelle-France
La représentation de l’Amérique du Nord française dans les arts et les lettres de France déborde largement les limites chronologiques de la Nouvelle-France. Elle remonte tout autant aux tentatives d’installation en Floride (1562-67) qu’aux premiers voyages de Jacques Cartier (1534). Elle se poursuit également bien après le traité de Paris de 1763 et reste encore vive au cours du XIXe siècle, voire jusqu’à nos jours. En somme, trois périodes sont distinguées pour animer le cadre chronologique de cette exposition.

– Le XVIe siècle : Le caractère particulier de « l’Entrée » des Français en terre américaine (lente pénétration de terres inconnues et premiers contacts avec les populations autochtones) marquera pour longtemps la vision de ce qui devait devenir la Nouvelle-France. Elle se traduira principalement par des cartes et des gravures laissant apparaître les plus anciennes représentations d’animaux et de « sauvages » septentrionaux ainsi qu’une toponymie francophone.

– Les XVIIe et XVIIIe siècles : Les principaux aspects de l’apogée de la Nouvelle-France (fondations de cités, expéditions lointaines de découvertes, missions actives d’évangélisation, relations franco-indiennes étroites, guerre contre les Britanniques et les colons anglo-américains) vont jouer un grand rôle dans sa représentation. Elle doit être considérée dans les arts de France à l’aune de sa richesse et de sa diversité : ouvrages philosophiques, romans et leurs illustrations, peintures, sculptures, céramique, tapisseries, arts décoratifs, arts mineurs, musique et opéra, décors et costumes de spectacles, objets rapportés et « américaineries » réalisées en France.

– Du XIXe siècle à nos jours : La disparition de la Nouvelle-France fait apparaître un « monde nouveau » de part et d’autre de l’Atlantique. L’Amérique française est devenue une Amérique des « Francophones » : Franco-Américains du Nord, intimement liés au monde indien et souvent métissés, Louisianais et « aristocrates » du sud, émigrés récents (colonie bonapartiste du Champ d’Asile). L’image de cette Amérique en France, profondément modifiée, évolue jusqu’au début du XXe siècle, sur bien des supports propres à leur époque (peintures de voyageurs, photographie, images d’Epinal) et parfois en fonction des faits historiques (révoltes des Métis de l’Ouest canadien, luttes des Cajuns de Louisiane pour leur langue et leur culture, etc.).

 

Cette image perdurera tout au long du XXe siècle, plus rare mais bien présente, et connaîtra même un spectaculaire renouveau, en 1967, lors de la visite du Général de Gaulle, dont quelques mots choisis attireront le regard du monde sur le cœur de cette Amérique française.

 

Pascal Mongne,
Paris, mars 20182.

 

 

Notes
1. L’image des Amériques forgée par l’Europe depuis cinq siècles est l’objet de recherches que l’auteur du présent document mène depuis plusieurs années. Ce thème a été le cadre de plusieurs conférences et publications d’articles, et d’un cours à l’Ecole du Louvre.

2. Membre de la Commission Franco-Québécoise sur les Lieux de Mémoire Communs, Pascal Mongne est chargé d’enseignement à l’Ecole du Louvre, Paris. Il est également membre des institutions suivantes :

– Unité mixte « Archéologie des Amériques »  (ArchAm – UMR 8096, CNRS – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne),
– GEMESO (Groupe d’Etudes Méso-Américaines, EPHE, Paris).
– Comité français pour le Corpus Antiquitatum Americanensium (Union académique internationale).