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Kebeca liberata, 1690-1967

En 1688, éclate la guerre dite de la « Ligue d’Augsbourg », coalisant une grande partie de l’Europe contre la France de Louis XIV, alors à son apogée. Elle va rapidement s’étendre de l’autre côté de l’Atlantique, mettant aux prises – une nouvelle fois – les forces militaires britanniques et françaises.

C’est dans ce contexte que le roi nomme pour la seconde fois au poste de gouverneur de la Nouvelle-France, le tumultueux et déjà âgé Louis de Buade, comte de Frontenac et de Palluau (1622-1698). Arrivé sur place en octobre 1689, Frontenac ne peut que constater la situation plus que sérieuse de la colonie, confrontée aux raids iroquois (massacre de Lachine en août de la même année) et surtout menacée par un projet de vaste opération militaire anglaise rapporté par les espions, prévoyant de prendre en tenaille la Nouvelle-France par les attaques coordonnées de Montréal et Québec.
C’est en effet en septembre 1690 qu’une force d’environ 1000 hommes, principalement miliciens anglo-américains, arrive en vue de Montréal. Mais, la progression difficile dans une région mal connue d’eux, le manque de discipline et d’unité, et surtout la variole frappant les alliés Iroquois, rendent impossible une véritable attaque de la ville. Après avoir pillé les fermes avoisinantes, la colonne rebroussera chemin. Elle ne pourra donc pas aider la principale attaque, menée par Sir William Phips et ses 2000 hommes, remontant le Saint-Laurent à bord de 34 navires, et qui n’arrive que le 16 octobre devant les murs de Québec.

Frontenac, ayant rejoint Québec quelques jours plus tôt avec des renforts, reçoit l’émissaire de Phips demandant la capitulation de la ville. Il y répond par la formule restée célèbre : « Non, je n’ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil ».
Après plusieurs débarquements repoussés devant les défenses efficaces de la ville, Phips fait rembarquer ses hommes et se retire.
Alors que ces huit jours de combats n’avaient coûté que quelques dizaines d’hommes de part et d’autre, le retour de l’escadre anglaise se déroulera dans des conditions beaucoup plus dramatiques : la perte de plusieurs navires (pour cause d’orage) et surtout le déclanchement d’une épidémie de variole causeront la mort de quelque mille hommes.

C’est pour commémorer cette victoire que sera frappée cette médaille. Comme plusieurs dizaines d’autres, elle appartient à un vaste ensemble réalisé en 1695 illustrant les faits marquants du règne de Louis XIV et dont les dessins furent confiés à Coypel et la gravure à Mauger.
L’avers, comme de coutume, représente le portrait du roi, de profil, entouré de l’inscription latine Ludovicus Magnus Rex Christianus («Louis le grand, roi très chrétien»). Le revers, rappelant la victoire de 1690, est pour nous d’un grand intérêt : ici, l’allégorie de la ville de Québec trône sur son rocher (allusion très probable à sa situation topographique) et porte les armes de la monarchie. Elle foule les symboles britanniques. À ses pieds, l’attribut animalier n’est plus le perroquet ou le tatou, traditionnellement associés aux allégories américaines, mais un castor représenté de manière réaliste, animal emblématique du Canada et clair rappel au commerce de la fourrure auquel Frontenac lui-même était si lié. À senestre et en arrière-plan, une autre allégorie, masculine cette fois, figure le Saint-Laurent dans la meilleure tradition des représentations classiques. Enfin, notons un détail savoureux, en fond : deux palmiers, fort improbables sous cette latitude mais incontournables éléments des représentations de l’exotisme.
Deux inscriptions latines accompagnent ce décor : Francia In Novo Orbe Victrix (« France Victorieuse dans le Nouveau Monde »), et Kebeca Liberata m.dc.xc (« Québec Libérée, 1690 »).

Cette dernière inscription, bien que gravée presque trois siècles plus tôt, devait être chargée d’une force particulière en 1967, lors du fameux voyage du général de Gaulle, et peut certainement être associé à son cri, lancé depuis le balcon de l’Hôtel de ville de Montréal : Québec, décliné au masculin, ne se limitait plus à la cité historique mais désormais englobait tout l’espace du Canada français.
À l’occasion de sa visite, le Général fit refrapper la médaille, ici illustrée, et l’offrit au Québec. Puissant symbole par lequel l’Histoire rejoignait le Présent.

Sources : Racine, 2011.