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Ancien port saunier très actif durant la période médiévale, Brouage devint au début du XVIIe siècle la place forte que l’on connaît, voulue par le cardinal de Richelieu dans sa lutte contre la protestante La Rochelle. L’assèchement du Golfe de Saintonge et le développement contemporain de Rochefort laisseront Brouage dans les terres et dans l’oubli, permettant paradoxalement à la petite cité de conserver ses murailles et son aspect jusqu’à nos jours.
La relation de Brouage aux Amériques n’est pas due à son activité maritime ou militaire mais à la naissance en ses murs (vers 1567) de Samuel Champlain, traditionnellement considéré comme le « Père de la Nouvelle-France ». Bien que Champlain ne passa que très peu de temps dans sa ville natale (si l’on excepte sa jeunesse et ses premières années comme soldat durant les guerres de Religion), l’historiographie du XXe siècle ne l’oubliera pas et fera de la cité un important lieu mémoriel des relations entre la France et l’Amérique française.

Dès 1970, et probablement dans le sillage du fameux voyage du général de Gaulle à Montréal, une stèle commémorative avait été inaugurée par des représentants des gouvernements français et québécois à l’emplacement supposé de la maison natale de Champlain. Cette cérémonie devait donner le départ d’un important projet mené à l’initiative de Maxime Le Grelle, jésuite et historien : la réalisation d’un ensemble de vitraux consacrés à la Nouvelle-France, destinés aux baies de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Brouage.
A partir de 1982, grâce aux efforts du Comité du mémorial de la Nouvelle-France et l’aide de la fondation Stewart, ont été ainsi créés et installés neuf vitraux :
– 1982 : Épopée de l’Isle Sainte-Croix, par Nicolas Sollogoub. Don de la Province du Nouveau-Brunswick.
– 1983 : Fondation de la ville de Québec par Samuel Champlain, 1608 ; par Nicolas Sollogoub, don de la ville de Québec.
– 1987 : Hommage à la cité de Brouage, par Jacques Viviani d’après le carton de Nicolas Sollogoub. Don de l’Etat, de la Région Poitou-Charentes, du département, de la commune, de la paroisse et du Comité du mémorial.
– 1991 : Souvenance. L’Ontario au temps de la Nouvelle-France, par Stephen Taylor. Don de la Province d’Ontario.
– 1995 : Le Bienheureux François de Montmorency-Laval (1623-1708), par Nicolas Sollogoub. Don de Simone Guichard.
– 2001 : Le Québec au fil de son histoire, par Nicolas Sollogoub. Don de la Province du Québec.
– 2007 : Les origines de la ville de Montréal, 1642, par Nicolas Sollogoub. Don de la ville de Montréal.
– 2015 : Jeanne Mance (1603-1673), par Nicolas Sollogoub.
– 2017 : Marguerite Bourgeoys, par Jean-François Bordenave. Offert par le Comité du mémorial grâce aux dons de particuliers.

De cette série, la première et la dernière œuvres doivent ici être signalées :
L’Épopée de l’Isle Sainte-Croix, est consacrée la fondation de la première « habitation » de ce qui deviendra l’Acadie, en mai juin 1604, sur une île non loin de l’embouchure du fleuve baptisé Sainte-Croix (aujourd’hui frontière entre le Maine et le Nouveau-Brunswick). C’est ici que la deuxième expédition de Champlain – sous le commandement de Pierre Dugua de Mons – hivernera dans de très dures conditions (froid, faim, scorbut).
Couronnée par une fidèle reproduction de L’abitasion de l’ile de Ste Croix, gravure parue dans les Voyages du Sieur de Champlain (1613) montrant la disposition des installations, la partie centrale de la lancette illustre en deux registres la construction du fort. Les principaux personnages de l’expédition y sont représentés (de Mons, Champlain, Dupont-Gravé, Poutrincourt), établissant le plan sous le regard de deux Indiens reconnaissables à leur tenue. Le pied de la lancette représente l’un des deux navires de ce deuxième voyage : Le Don de Dieu, ou plus probablement La Bonne renommée.
Ce travail est l’œuvre de Nicolas Sollogoub (1925-2014), maître-verrier français d’origine russe, installé à Montréal dans les années 1950 et auteur de plusieurs compositions monumentales dans cette ville. Attaché à l’histoire de la Nouvelle-France, il réalisa six des neufs vitraux rassemblés dans l’église.

Bien différent est le dernier vitrail, dédié à Marguerite Bourgeoys (Troyes, 1620 – Montréal, 1700) et dévoilé pour le 35e anniversaire de sa canonisation. Co-fondatrice de Montréal et fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame (première communauté féminine non cloîtrée d’Amérique du nord), cette religieuse est l’un des principaux personnages de l’hagiographie catholique de la Nouvelle-France.
La partie centrale de la lancette représentant la sainte, reconnaissable à sa capuche et son habit, cernée par l’auréole. Elle tient un livre, symbole de l’action de son ordre consacré à l’éducation des jeunes femmes (« filles du Roy » et Amérindiennes). A dextre, se trouve l’évocation de sa ville natale, Troyes représentée par son écu et la cathédrale. A senestre, est reconnaissable la chapelle Notre-Dame du bon Secours fondée par la religieuse dans les faubourgs de Montréal en 1655 et dans laquelle ses reliques reposent. Notons que la façade du sanctuaire montre les remaniements de la fin du XIXe siècle.

Ces deux œuvres, pourtant toutes deux mémorielles, sont non seulement espacées par leur date de création mais aussi placées aux marges de la représentation de la Nouvelle-France : l’une commémoration historique, au service d’une hagiographie nationale ; l’autre commémoraison missionnaire affirmée que la première moitié du XXe siècle aurait volontiers passée sous silence.
Ce ne fut pas le cas : le 28 octobre 2017 – en présence des autorités civiles et religieuses locales – Mrg Lépine, archevêque de Montréal, dévoilait le vitrail.

Sources : Comité du mémorial des origines de la Nouvelle-France ; Glénisson, 1994.

En 1688, éclate la guerre dite de la « Ligue d’Augsbourg », coalisant une grande partie de l’Europe contre la France de Louis XIV, alors à son apogée. Elle va rapidement s’étendre de l’autre côté de l’Atlantique, mettant aux prises – une nouvelle fois – les forces militaires britanniques et françaises.

C’est dans ce contexte que le roi nomme pour la seconde fois au poste de gouverneur de la Nouvelle-France, le tumultueux et déjà âgé Louis de Buade, comte de Frontenac et de Palluau (1622-1698). Arrivé sur place en octobre 1689, Frontenac ne peut que constater la situation plus que sérieuse de la colonie, confrontée aux raids iroquois (massacre de Lachine en août de la même année) et surtout menacée par un projet de vaste opération militaire anglaise rapporté par les espions, prévoyant de prendre en tenaille la Nouvelle-France par les attaques coordonnées de Montréal et Québec.
C’est en effet en septembre 1690 qu’une force d’environ 1000 hommes, principalement miliciens anglo-américains, arrive en vue de Montréal. Mais, la progression difficile dans une région mal connue d’eux, le manque de discipline et d’unité, et surtout la variole frappant les alliés Iroquois, rendent impossible une véritable attaque de la ville. Après avoir pillé les fermes avoisinantes, la colonne rebroussera chemin. Elle ne pourra donc pas aider la principale attaque, menée par Sir William Phips et ses 2000 hommes, remontant le Saint-Laurent à bord de 34 navires, et qui n’arrive que le 16 octobre devant les murs de Québec.

Frontenac, ayant rejoint Québec quelques jours plus tôt avec des renforts, reçoit l’émissaire de Phips demandant la capitulation de la ville. Il y répond par la formule restée célèbre : « Non, je n’ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil ».
Après plusieurs débarquements repoussés devant les défenses efficaces de la ville, Phips fait rembarquer ses hommes et se retire.
Alors que ces huit jours de combats n’avaient coûté que quelques dizaines d’hommes de part et d’autre, le retour de l’escadre anglaise se déroulera dans des conditions beaucoup plus dramatiques : la perte de plusieurs navires (pour cause d’orage) et surtout le déclanchement d’une épidémie de variole causeront la mort de quelque mille hommes.

C’est pour commémorer cette victoire que sera frappée cette médaille. Comme plusieurs dizaines d’autres, elle appartient à un vaste ensemble réalisé en 1695 illustrant les faits marquants du règne de Louis XIV et dont les dessins furent confiés à Coypel et la gravure à Mauger.
L’avers, comme de coutume, représente le portrait du roi, de profil, entouré de l’inscription latine Ludovicus Magnus Rex Christianus («Louis le grand, roi très chrétien»). Le revers, rappelant la victoire de 1690, est pour nous d’un grand intérêt : ici, l’allégorie de la ville de Québec trône sur son rocher (allusion très probable à sa situation topographique) et porte les armes de la monarchie. Elle foule les symboles britanniques. À ses pieds, l’attribut animalier n’est plus le perroquet ou le tatou, traditionnellement associés aux allégories américaines, mais un castor représenté de manière réaliste, animal emblématique du Canada et clair rappel au commerce de la fourrure auquel Frontenac lui-même était si lié. À senestre et en arrière-plan, une autre allégorie, masculine cette fois, figure le Saint-Laurent dans la meilleure tradition des représentations classiques. Enfin, notons un détail savoureux, en fond : deux palmiers, fort improbables sous cette latitude mais incontournables éléments des représentations de l’exotisme.
Deux inscriptions latines accompagnent ce décor : Francia In Novo Orbe Victrix (« France Victorieuse dans le Nouveau Monde »), et Kebeca Liberata m.dc.xc (« Québec Libérée, 1690 »).

Cette dernière inscription, bien que gravée presque trois siècles plus tôt, devait être chargée d’une force particulière en 1967, lors du fameux voyage du général de Gaulle, et peut certainement être associé à son cri, lancé depuis le balcon de l’Hôtel de ville de Montréal : Québec, décliné au masculin, ne se limitait plus à la cité historique mais désormais englobait tout l’espace du Canada français.
À l’occasion de sa visite, le Général fit refrapper la médaille, ici illustrée, et l’offrit au Québec. Puissant symbole par lequel l’Histoire rejoignait le Présent.

Sources : Racine, 2011.

Terminé en 1955, en remplacement de l’ancien pont détruit durant la Seconde Guerre mondiale, le pont Boieldieu porte le nom du compositeur rouennais François Adrien Boieldieu (1775-1834).
Situé à la limite entre le port fluvial et le port maritime, il est à ce titre orné de quatre sculptures monumentales, installées sur les culées des rives en 1957. Rive gauche, peuvent être identifiées les allégories de la Seine et de l’Océan, par Georges Saupique ; rive droite, sont visibles, d’une part, un groupe figurant des Vikings (ou plutôt des Normands partant à la conquête de l’Angleterre), de l’autre, le plus fameux rouennais intéressant notre propos : Cavelier de La Salle.
Cet ensemble, comme celui des Vikings, est l’œuvre de Jean-Marie Baumel (1911-1978). Grand prix de Rome, Baumel est célèbre pour ses sculptures et bas-reliefs associés à l’architecture et aux ouvrages publics, notamment dans Le Havre reconstruit après la guerre par Perret.
Le voyage maritime étant le thème principal des quatre sculptures, il n’est donc pas surprenant que Cavelier de La Salle soit ici figuré à la barre d’un navire, le regard perdu vers l’horizon. Cette association à la mer n’est pas le moindre des paradoxes lorsque l’on connaît l’issue tragique de sa dernière expédition.
Conformément aux conventions stylistiques de l’après-guerre (jusqu’au milieu du XXe siècle), l’ensemble affiche une sobriété accentuée, frisant le dépouillement : nef à peine esquissée, fendant des flots en volutes, proue géométrique rappelant néanmoins les têtes de dauphins du XVIIe siècle ; jusqu’au hiératisme des deux personnages, le regard perdu vers l’horizon, semblables et difficilement identifiables.
L’ensemble, clairement associé à la colonisation française de l’Amérique du Nord n’est pourtant pas le seul consacré à la Nouvelle-France.

En 2007, seront ajoutés dix bustes dits des Grands navigateurs, appelés à rythmer la piste cyclable aménagée sur le pont. Ces œuvres avaient été réalisées en 1999 puis en 2003 par le sculpteur Rouannais Jean-Marc de Pas (né en 1962), à l’occasion des Armadas rassemblées à Rouen
L’Amérique et plus particulièrement la Nouvelle-France tiennent une place de choix dans la destination de ces navigateurs puisque nous comptons : Christophe Colomb, Giovanni da Verrazano, Amerigo Vespucci, Jacques Cartier et Cavelier de La Salle.

Sources : Gourbin, 2012 ; Sculptures du Pont Boieldieu à Rouen.

Né à Laon en 1637, au sein d’une famille très pieuse et respectée, Jacques Marquette rejoint le noviciat de la Compagnie de Jésus à Nancy en 1654. Il étudie dans plusieurs séminaires de l’ordre dans l’est de la France et rapidement sent naître sa vocation pour l’apostolat dans les terres lointaines. Ordonné prêtre à Toul en 1666, il s’embarque la même année pour la Nouvelle-France, comme missionnaire à la demande de son ordre.
Il y apprend rapidement les langues amérindiennes locales et, dès 1668, est envoyé dans la région des Grands Lacs où il fonde plusieurs missions dont celle de Saint-Ignace sur le détroit entre les lacs Michigan et Huron. Désormais et durant sa courte vie, Jacques Marquette se consacrera à l’évangélisation des populations autochtones de l’ouest des Grands Lacs.
C’est en décembre 1672, à la mission Saint-Ignace, que Marquette reçoit Louis Jolliet. Autre grand personnage de l’histoire de la découverte de la Nouvelle-France, Louis Jolliet (1645-1700) est chargé par le gouverneur Frontenac d’explorer les territoires de l’Ouest à la recherche d’un passage vers l’océan Pacifique. Il a pour instruction d’emmener avec lui le jésuite dont on sait les connaissances linguistiques. Après un long hivernage à Saint-Ignace, consacré à la préparation du voyage, vers la mi-mai 1673 est lancée la fameuse expédition qui rendra les deux hommes célèbres
Ainsi, durant plusieurs mois, Jolliet et Marquette accompagnés de cinq Métis traversent des régions jusque-là inexplorées à l’ouest des Grands Lacs puis atteignent le Mississippi qu’ils descendent jusqu’au confluent de l’Arkansas. Craignant de se heurter aux Espagnols, ils rebrousseront chemin à partir de juillet après avoir parcouru plus de 2000 km. Bien que n’ayant pas atteint l’embouchure du grand fleuve, ils avaient ainsi démontré qu’il coulait inexorablement vers le Sud.
En septembre 1673, l’expédition est de retour sur les rives du lac Michigan et ses membres se séparent. Alors que Jolliet retourne à Québec pour rendre compte de sa mission, Marquette, fort éprouvé par le voyage se réfugie au sein de la mission Saint-François-Xavier, sur la rive occidentale du lac. Il y reste plusieurs mois puis décide de reprendre son apostolat, notamment auprès des Illinois. Aux prix de grands efforts et de sa santé, il parvient jusqu’au village des Kaskaskia (à quelque 150 km au sud-ouest de l’actuelle Chicago) et y dit la messe de Pâques de 1675.
C’est donc considérablement affaibli qu’il entreprend le voyage de retour vers la mission de Saint-Ignace. Il ne l’atteindra pas et mourra (probablement de dysenterie) près de l’actuelle ville de Luddington sur la rive orientale du lac Michigan, à l’âge de 38 ans. Ses restes seront transférés en grande cérémonie deux ans plus tard jusqu’à la mission qu’il avait fondée.

Bien que certains auteurs et biographes aient relativisé l’importance de Marquette dans le fameux voyage et même dans son œuvre missionnaire, force est de reconnaître que le personnage est fort connu au Canada et aux Etats-Unis, où plusieurs cités, unités administratives, lieux-dits et parcs ainsi qu’une université et une compagnie de chemin de fer portent son nom, sans compter les très nombreux monuments, bas-reliefs, sculptures et peintures consacrés au jésuite explorateur (voir les importants travaux de Derome et alii).
Figure incontournable de l’histoire de la Nouvelle-France, le père Marquette, à qui l’on attribue la « découverte » du Mississippi, semble en revanche subir en France une ignorance particulière. Si l’on excepte quelques noms de rues et de quartiers, à notre connaissance seuls deux monuments commémoratifs lui ont été dédiés : à Nancy et Laon.

Le monument de Nancy
C’est à Nancy, terre du noviciat de Marquette, que le premier est érigé. Commandée par la Compagnie de Jésus en 1930 à Victor Huel fils (1875-1953), artiste nancéen spécialisé dans les thèmes religieux, la statue orne le centre de la façade d’un bâtiment destiné à abriter un foyer pour étudiants (actuellement 5, rue Baron). Réalisée en grandeur nature, cette ronde-bosse de pierre repose sur une console représentant une tête d’Indien coiffé d’une couronne de plumes, dans la meilleure tradition des allégories. L’oeuvre semble visiblement inspirée d’une gravure (signée « P. de Martino ») publiée dans l’ouvrage du père Lejosne (voir bibliographie), alors aumônier de l’institution et certainement l’instigateur de cette réalisation. Vêtu de la traditionnelle tenue, le père Marquette tient dans une main une carte, allusion à son expédition et de l’autre présente bien haut la croix.
Il est plus que probable que ce symbole fut au cœur des difficultés rencontrées pour la réalisation du second monument commémoratif.

 
Statue de Marquette par Huel, 1931, façade du 5, rue Baron, Nancy (in Derome)

Le monument de Laon
Dès septembre 1900, à l’occasion du XIIe Congrès international des Américanistes tenu à Paris, avait pourtant été proposé, à l’initiative d’Henri Cordier, certes sinologue mais né à la Nouvelle-Orléans, l’érection d’une statue à la mémoire du père Marquette dans la cité de Laon, terre natale du Jésuite. Cette proposition avait été cependant repoussée par la municipalité ; décision très certainement liée à l’anticléricalisme d’une partie du monde politique en cette période de relations tendues entre l’Église et la jeune IIIe République.
Il faut ainsi attendre 1910 pour que la Société académique de la ville émette le désir de voir un monument érigé à la mémoire du prêtre, à l’exemple de ceux dressés à l’époque aux Etats-Unis. Soutenu ardemment par l’historien et journaliste Charles Westercamp et par Gabriel Hanotaux  diplomate et fondateur l’année précédente du Comité France-Amériques (tous deux de la région), ce souhait ne sera pourtant pas concrétisé avant le milieu des années trente.
Le contexte intérieur est cette fois favorable (apaisement des rivalités politico-religieuses) et de plus, l’approche du troisième centenaire de la naissance du missionnaire, entraînant de nombreuses cérémonies aux Etats-Unis, influence l’opinion des édiles. Un comité est donc constitué dès 1936 pour la réalisation d’un monument. L’annonce de ce projet entraînera de l’autre côté de l’Atlantique des témoignages de soutien variés (dalle de granit gravée aux armes de la France offerte par la ville de Chicago) et parfois originaux (coffret de sable provenant du lieu du décès du missionnaire, eau du Mississippi).
Cependant les résultats de la souscription ouverte en France n’autoriseront pas la réalisation d’une oeuvre en ronde-bosse mais d’un bas-relief en bronze, créé par Jean Topin, artiste du lieu, et fondu dans les ateliers Barbedienne.
Très curieusement, l’œuvre de Topin ne s’inscrit pas dans les représentations traditionnelles du jésuite telles qu’on les connaît, principalement aux Etats-unis, navigant dans son canoë ou prêchant en brandissant le crucifix. Marquette est ici représenté debout, dans une position neutre, presque hiératique. Un arrière-plan sobre montre des collines et un cours d’eau sur lequel l’inévitable canoë figure, occupé par deux Indiens, claire allusion à ses voyages. La croix est ici à peine visible, glissée dans la ceinture et aucun autre attribut religieux n’apparaît hormis la tenue ecclésiastique. En revanche, un carnet ou une carte est clairement visible dans la main gauche alors que la main droite tient un crayon. En représentant l’explorateur au service de la France plutôt que le missionnaire catholique, Topin sacrifia probablement aux exigences d’une laïcité sourcilleuse.
Inauguré en juin 1937, en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis, le monument se trouvait primitivement dans un jardin non loin de la porte de Soissons dans la partie sud-ouest de la vieille ville, où il sera peu à peu oublié. Restauré (en perdant hélas les piliers latéraux Art-déco trop dégradés), il a été déplacé en 2004 dans un espace aménagé pour lui, situé non loin de l’hôtel de ville et qui désormais porte son nom.

Monument commémoratif dédié au père Marquette, par Topin, dans sa version de 1937 (in Thierry, 2007)


Bas-relief du monument actuel

Sources : Derome, 2015-2018 ; Deslandres, 2003 ; Lejosne, 1930 ; Monet, 2003 ; Parkman, 1968 ; Thierry, 2007.

 

C’est au cœur de la grande exposition coloniale de Paris, ouverte en 1931, non loin de la reconstitution du grand temple d’Angkor Vat, qu’avait été érigée l’église Notre-Dame-des-Missions-étrangères. Véritable lieu de culte, et non simple pavillon au décor exotique, elle accueillit de très nombreux fidèles pendant toute la durée de l’Exposition et selon la formule, était consacrée « à la gloire de la conquête missionnaire de l’Église catholique à travers les pays et les siècles ».
Sa présence au centre de cet événement n’est donc pas le moindre des paradoxes de la Troisième République, laïque et volontiers anti-cléricale dans ses actes et son discours, mais qui, tout au long de sa longue histoire n’hésita pas à associer l’église catholique à ses intérêts coloniaux et diplomatiques.
Construite comme la plupart des pavillons de l’Exposition en matériaux périssables, et destinée à disparaître après l’exposition, elle fut néanmoins sauvée grâce à une souscription nationale lancée par le maréchal Lyautey et l’amiral Lacaze et reconstruite à l’identique et en béton armé, en 1932, à Épinay-sur-Seine. Le choix de ce lieu, en banlieue, est  à mettre au compte de l’œuvre des « Chantiers du Cardinal », mis en place dès 1931 par le cardinal Verdier. Cette église (qu’il consacre d’ailleurs en 1933) est  l’une des premières réalisations de son action de reconquête spirituelle des faubourgs parisiens.

C’est un exotisme particulièrement éclectique qui caractérise ce lieu de culte dont les inspirations, à la fois asiatique (toit en pagode, façade) et subsaharienne (campanile en forme de minaret, porche), sont revêtues des effets caractéristiques du style Art Déco.
À cette occasion, Paul Tournon, l’architecte agréé de l’archevêché et maître d’œuvre, s’entoura d’une trentaine des plus célèbres artistes peintres, vitraillistes et décorateurs de l’époque, placés sous la direction d’Henri de Maistre (directeur des Ateliers d’art sacré).
Douze peintures, réalisées sur toiles marouflées montées sur les murs de refend des bas-côtés de l’église, illustrent l’histoire de l’évangélisation dans le monde. Considérant la forme particulière de la surface de travail, chaque panneau suit la même ordonnance : une carte symbolisant le lieu de mission, sur laquelle apparaissent une ou plusieurs grandes figures de l’apostolat catholique. L’un d’eux est pour nous du plus grand intérêt car consacré aux « Martyrs français du Canada ».

Réalisé par Henri de Maistre, ce panneau est entièrement occupé par une carte du cœur de la Nouvelle-France (Bassin du Saint-Laurent et Grands Lacs). Au premier plan, semblant marcher résolument vers leur destin figurent cinq missionnaires. Si le personnage debout, brandissant le crucifix, peut être logiquement associé à Jean de Brébeuf, l’identité des autres est plus incertaine et doit être choisie parmi les autres martyrs célèbres : Isaac Jogues, Gabriel Lalemant, Charles Garnier, Antoine Daniel, Noël Chabanel, René Goupil et Jean de La Lande, tous canonisés quelques mois avant la réalisation de la toile.

 

Sources : Ageorge Sylvain, 2006 ; Les Amis de Notre-Dame-des-Missions ; Latourelle, 1993 ; Observatoire du Patrimoine religieux ; Parkman, 1968 ; Simon, 2014 ; Vinel et alii, 2005.

Située à Mortagne-au-Perche (Orne), l’église Notre-Dame de l’Assomption a été érigée entre 1494 et 1535 puis couronnée d’une tour entre 1542 et 1620. Elle est justement célèbre pour ses boiseries du XVIIIe siècle et surtout ses vitraux dressés entre le XVIe et le XXe siècle, présentant ainsi en un seul lieu l’évolution de l’art du vitrail français.

L’un d’eux nous intéresse tout particulièrement. Situé sur le côté gauche de la nef (vitrail 11 – D), il est consacré à la personne de Pierre Boucher (1622-1717), enfant de Mortagne et l’une des grandes figures de l’installation française au Canada.
C’est en 1635, suivant son père menuisier, que Pierre Boucher s’embarque pour la Nouvelle-France. Engagé comme domestique chez les Jésuites, il apprend très vite les langues indigènes et dès 1641 devient interprète pour ces derniers dans leur œuvre de conversion des Hurons.
En 1644, Pierre Boucher s’établit à Trois-Rivières, sur la rive nord du Saint-Laurent et devient rapidement un personnage important de cette position militaire et commerciale stratégique à mi-chemin entre Québec et Montréal. Nommé capitaine de la milice locale en 1651, il renforce les fortifications devant les redoutables incursions iroquoises qui, dès 1641, avaient semé la terreur parmi les Français et leurs alliés autochtones. Il organise ainsi la défense du bourg, à la tête d’une cinquantaine de miliciens, lors des quatre jours d’assaut (19-22 août 1653) mené par quelque 600 Agniers, L’échec de l’attaque et la demande de paix par les Iroquois vaudra les honneurs à Pierre Boucher qui sera nommé gouverneur de la place (poste qu’il occupera jusqu’en 1667).
Personnage désormais important, Boucher est envoyé en métropole en 1662 pour y défendre les intérêts de la colonie et demander des renforts. Il est reçu à Versailles par le roi en personne qui l’anobli probablement à cette occasion (il devient ainsi l’un des trois premiers anoblis du Canada). Il revient avec 160 colons et une centaine de soldats. Quelques années plus tard, l’arrivé du régiment de Carignan-Salières et ses 1200 hommes confirmeront l’intérêt de la Couronne pour la défense de la Nouvelle-France.
En 1667, il fonde la seigneurie de Boucherville, au sein de laquelle il vivra désormais jusqu’à sa mort.

Cet ensemble est l’œuvre conjointe de trois célèbres vitraillistes : Louis Joseph Barillet (1880-1948), Jacques Le Chevallier (1896-1987) et Théo Hanssen (1885-1957), qui ont longtemps travaillé ensemble. Ils sont considérés comme les rénovateurs de l’art du vitrail de l’entre-deux-guerres. Cette œuvre est en effet profondément marquée par le style Art déco alors en vogue, tant dans les teintes utilisées que dans les formes rondes et pures du décor.
Réalisé en 1923, ce travail de commande fut inauguré lors d’une cérémonie rassemblant les autorités de la ville et les représentants du Canada, le 21 août 1927, date anniversaire de la bataille de Trois-Rivières. Il n’est donc pas étonnant, que malgré son lieu d’installation, ce vitrail n’aborde aucunement un sujet religieux. En fait, oeuvre de commémoration historique, il fait la part belle aux deux événements choisis par les commanditaires.
Sous le panneau d’ogive, illustrant les armes nobiliaires de Boucher, deux principaux registres sont ainsi présentés : au centre, l’embarquement de Boucher et de ses renforts depuis le port de La Rochelle, en 1662 ; en bas, la fameuse bataille d’août 1653. Notons que les Iroquois, pourtant bien identifiés, portent ici des vêtements et des coiffes complètement inspirés de ceux des Indiens des Plaines.

Sources : Cécil, 2001 ; Douville ; Groulx, 1965.

Si la figure de Jacques Cartier, le « Découvreur du Canada » est aujourd’hui bien honorée au sein de l’hagiographie patriotique française, ce symbole est cependant récent. Ayant été relativement oublié au profit d’autres figures de la colonisation, il ne réapparaît vraiment qu’au cours du XIXe siècle, notamment au sein des élites francophones du Canada comme le représentant de la France et du catholicisme dans une province en plein effervescence nationaliste.
Dès 1834, est en effet envisagé la réalisation d’un monument en son honneur; monument qui ne sera érigé en fait qu’en 1889, à Québec. Sachons qu’entre-temps la mémoire du navigateur avait été entretenue par le baptême de nombre de lieux à Québec et Montréal ainsi que par un portrait peint par Jacques Hamel vers 1844 et inspiré d’une toile de François Riss (réalisée en 1839) qu’il avait découverte à Saint-Malo (disparue depuis). Cette œuvre connaîtra une célébrité certaine puisqu’elle est devenu en quelque sorte le visage officiel du Malouin.

C’est très certainement sous l’influence de ce courant de reconnaissance, et grâce à la visite de la première délégation franco-canadienne en 1891 que la France redécouvre officiellement Jacques Cartier. Honoré Mercier, alors Premier ministre du Québec l’avait conduite à Paris, Chartres, Tourouvre (voir XIXe siècle : « Vitraux de l’église Saint-Aubin de Tourouvre : en l’honneur des Mercier ») ainsi qu’à Saint-Malo. C’est dans la cathédrale Saint-Vincent qu’il avait fait dévoiler une plaque en l’honneur du marin.
Cette cérémonie, associée aux célébrations du quatrième centenaire de la Découverte de Christophe Colomb inciteront l’année suivante le chanoine Bourdon à proposer la réalisation d’un monument malouin dédié à Cartier. Une souscription ouverte dès 1897 puis la formation de deux comités (l’un local et l’autre franco-canadien) permettent de lancer un premier projet proposé par Pierre-Marie François Ogé dont on connaît au moins une épreuve. Celui-ci sera finalement repoussé par le Comité et la commande attribuée à Georges Bareau.
Le monument fut inauguré le 23 juillet 1905 au cours de festivités spectaculaires qui durèrent trois jours : concerts, feux d’artifices, fanfares militaires et hommages de la Flotte et de l’Armée, grand-messe dans la cathédrale, soirées de gala, pèlerinage au manoir de Limoënou (demeure de Cartier), sans omettre bien sûr les nombreux discours lyriques et patriotiques devant les représentants de l’État et du Canada français.
Cet ensemble de cérémonies peut être considéré comme la première manifestation officielle (impliquant les corps constitués) dédiée à la Nouvelle-France, plus de cent quarante ans après sa disparition. Outre l’enjeu de profondes rivalités locales (notamment celles opposant les Républicains anticléricaux aux traditions catholiques de la région), elle fut également un savant dosage diplomatique, chantant la gloire de l’Amérique française sans heurter les intérêts du condominium britannique et de l’Entente cordiale (1904) :
« …Le Canadien-Français n’a qu’à se féliciter de la générosité de la couronne britannique, qui lui a sauvegardé son caractère national, sa langue et sa croyance religieuse. Sa loyauté pour sa patrie d’adoption n’a jamais été mise en doute, mais son amour pour la France, le pays de ses aïeux, ne périra jamais. »… (Discours de L.-J. Ethier, représentant la ville de Montréal, prononcé lors des cérémonies : voir Thiercelin en bibliographie).

La statue en bronze (réalisée dans les ateliers de la Fonderie d’art du Val d’Osne à Paris) en est probablement le reflet, montrant non pas le « Découvreur » et moins encore le « Fondateur de la Nouvelle-France », mais le courageux marin, tête nue, affrontant les éléments, le regard tourné vers l’horizon. Cartier est ici à la barre de La Grande Hermine, principale nef de la flottille ayant appareillé le 16 mai 1535, lors du deuxième voyage.
Artiste breton ayant beaucoup travaillé pour sa région d’origine et notamment pour Nantes, Georges Marie Valentin Bareau (1866-1931), aujourd’hui oublié, est l’un de ces nombreux sculpteurs employés par la jeune troisième République alors en mal de représentations patriotiques et édifiantes. Son Jacques Cartier en est un bon exemple, à la fois lyrique et vériste dans la droite ligne des commandes officielles. L’oeuvre qu’il réalisa est visiblement inspirée des vers de Théodore Botrel, poète breton et principal artisan de cette opération, et qui figurent au pied du monument :
«  Le front nu, bravant les tempêtes
Vêtu de lourdes peaux de bêtes
La hache d’abordage au flanc
Il écoute sous les étoiles
La brise rire dans ses voiles
Et chanter dans son drapeau blanc. »

Quelques années plus tard, la statue sera redisposée sur un socle plus imposant. Curieusement, elle sera alors tournée vers la ville…

Sources : Braudel, 1984 ; Cartier, 1545 ; Gagnon et Petel, 1986 ; Prével-Montagne, 2002 ; Thiercelin, 1905.