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À venir

Situé entre Alençon et Evreux, le village de Tourouvre-au-Perche (Orne) tient une place particulière dans l’histoire du peuplement de la Nouvelle-France, puisqu’il fut l’un des principaux foyers d’émigration vers le Canada (à l’instar d’une grande partie du Perche). C’est d’ailleurs à ce titre que le village abrite depuis 2006 la Maison de l’Emigration française au Canada.

C’est en 1647 qu’un groupe de quelque 80 familles originaires de Tourouvre et de sa région embarque pour la Nouvelle-France. Au sein de celui-ci figure un célibataire, « manœuvre » de son état : Julien Mercier (1621-1676). Comme beaucoup d’immigrés dans leur nouvelle patrie, il y fonde une famille et semble y avoir eu une descendance digne d’Abraham, dont plusieurs membres auront une destinée célèbre. Tel est le cas d’Honoré Mercier.

Avocat de formation, et journaliste, Honoré Mercier (1840-1894) se tourne très tôt vers la politique. Patriote ardent et catholique convaincu, Mercier consacrera une vie bien remplie à la défense des intérêts des Canadiens français, tant sur le plan social et culturel que sur le plan économique, cherchant par des accords financiers à émanciper la province du joug anglo-saxon.

L’apogée de sa carrière se situe entre 1887 et 1891, alors qu’il est Premier ministre du Québec. C’est à la fin de sa mandature, en 1891 qu’il entreprend un long voyage en Europe (France, Belgique, Italie), et dont les causes sont bien évidemment aussi financières : l’espoir de négocier un emprunt de 10 millions de dollars auprès d’investisseurs français pour le développement économique du Québec. Si les résultats de ces efforts furent plutôt mitigés (moins de la moitié de la somme fut réunie), notamment à cause des intrigues du Commissaire du Canada à Londres, en revanche, le volet politique et culturel de son séjour est incontestablement une grande réussite personnelle.

En grande partie grâce aux efforts d’Hector Fabre, Commissaire de la province de Québec à Paris, ce voyage est une éclatante démonstration diplomatique de la présence de l’Amérique française en France : utilisation d’une agence de communication (Le Courrier de la Presse) mise au service de son action ; appartement mis à disposition près de l’Opéra, abritant des réceptions où se retrouve le tout-Paris ; discours engagés rappelant ses origines françaises et sa foi catholique (ce dernier point pas toujours bien compris d’une classe politique volontiers gagnée par l’anticléricalisme ambiant).

Cependant, les points forts du voyage d’Honoré Mercier en France sont sans conteste les visites menées dans plusieurs villes, véritables « pèlerinages » aux sources de la Nouvelle-France : à la Cathédrale de Saint-Malo où il inaugure une dalle en l’honneur de Jacques Cartier,  à Chartres, où il prononce un discours lyrique devant un parterre visiblement conquis, enfin à Tourouvre, lieu d’origine des Mercier.

La visite au village, en mai 1891, peut être certainement considérée comme le point d’orgue de son séjour en France. Honoré Mercier y fait un don conséquent pour la réalisation de deux (en fait peut-être trois) vitraux destinés à l’église Saint-Aubin, là où 270 ans plus tôt avait été baptisé Julien, son ancêtre. La commande, probablement passée lors de son passage à Chartres avait été adressée à l’atelier Lorin, déjà fameux pour ses réalisations dans la région. Les vitraux seront installés l’année suivante sur les bas-côtés droits de l’église.

L’un des trois, généralement ignoré, est d’un sujet purement religieux : un ange-gardien guidant les pas d’un jeune enfant dans un paysage de campagne. En fait, seul le texte, dans la partie basse de la lancette, rétablit le lien à l’Amérique :

« Ange de Dieu
Veille sur les habitants
de Tourouvre et leurs
compatriotes du Canada
Offrande
de Mr. L’Abbe Marre-Desperriers
Doyen de Tourouvre
31 mai 1891 ».

 Les deux autres en revanche sont clairement associés à la Nouvelle-France. Le premier représente le départ de Julien Mercier et lui donne incontestablement la part belle. Élégamment vêtu, portant le chapeau à panache et l’épée. Celui qui n’était en fait qu’un simple « manœuvre » (embarqué sous contrat et ne sachant ni lire ni écrire) apparaît ici comme un aristocrate autour duquel toute la composition est organisée : la famille et le vieillard faisant leurs adieux, les marins attendant respectueusement son embarquement ; jusqu’à la Vierge portant l’Enfant et dominant la scène sur un nuage. Cette immobile solennité n’est troublée que par les portefaix chargeant les barques. Ils nous permettent de découvrir de bien modernes et savoureuses étiquettes sur l’une des malles, au premier plan, signalant la lointaine destination : « Canada ».

En arrière-plan, La Marguerite est en panne, attendant son passager. Selon les sources, c’est à bord de ce bateau et depuis le port de La Rochelle que Julien Mercier s’embarqua en 1647. Cependant, le paysage de falaises que l’on distingue au fond rappelle bien mieux la côte normande, et plus particulièrement Dieppe dont la forteresse pourrait être ici représentée (notons que celle-ci se trouve à droite de la composition, alors qu’elle devrait être placé à gauche – c’est-à-dire à l’ouest du port : erreur due à un modèle inversé ?).

La seconde œuvre est bien plus proche de la réalité. Probablement réalisée d’après une photographie, elle relate la visite officielle d’Honoré Mercier à l’église Saint-Aubin de Tourouvre dont on reconnaît le maître-autel aux colonnes torsadées. Reçus par les autorités locales civiles et religieuses (dont certainement l’abbé Marre-Desperriers), Honoré Mercier et ses compagnons apparaissent sur la droite. Derrière Mercier en uniforme, sont reconnaissables de droite à gauche plusieurs personnalités québécoises importantes : Joseph Shehyn (homme d’affaires et trésorier provincial du gouvernement Mercier), Hector Fabre (Représentant du Québec à Paris), Nazaire Bernatchez (Député et ancien ministre), et peut-être l’avocat et futur diplomate Raoul Dandurand.

Parmi les quatre courts textes placés en base des vitraux, deux par leur lyrisme, méritent d’être cités :

– « N’oubliez jamais ni Dieu, ni la France »

– « Nous n’avons oublié ni Dieu, ni la France »

 

(en haut)
Le départ de Julien Mercier de la Rochelle
Église Saint-Aubin de Tourouvre (Orne)
Atelier Lorin de Chartres, 1891.

(en bas à gauche)
Visite d’Honoré Mercier à Tourouvre
Église Saint-Aubin de Tourouvre (Orne)
Atelier Lorin de Chartres, 1891.

La fin du XVIIIe siècle, fortement marquée par les Lumières et notamment les thèses rousseauistes, développe à son apogée la vision du « bon sauvage », enrichie et peut-être même recréée par la découverte récente des îles océaniennes et de leurs habitants semblant vivre une forme d’âge d’or figé. L’Amérique du Nord n’échappe pas à cette représentation sur-idéalisée, au sein de laquelle l’Indien, par sa proximité à la mère Nature, apparaît dans une bonté et un pacifisme dignes de l’Eden.

C’est donc empreint de cette image positive que Jean-Jacques-François Le Barbier l’Aîné (1738-1826) peint en 1781 ce tableau devenu célèbre, précurseur de l’image romantique larmoyante qui prévaudra au début du siècle suivant : un couple pleure son enfant disparu récemment ; la mère, pressant son sein, verse son lait sur la pierre tombale.

L’imagination de Le Barbier, pourtant fertile dans ses tableaux plus tardifs n’y est ici pour rien. Le peintre s’inspire en fait du récit déjà ancien de Paul Le Jeune (1591-1664), Jésuite ayant séjourné en Nouvelle-France entre 1632 et 1649 et ayant longtemps vécu parmi les Indiens Montagnais. C’est dans son récit Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle-France en l’année 1633, publié en 1634, que le missionnaire cite ce bien curieux exemple de deuil.

Authentique ou non, le thème connaissait à l’époque un grand succès : quelques années plus tôt, Marmontel l’avait d’ailleurs placé dans son ouvrage fameux, les Incas ou la destruction de l’empire du Pérou (1777).