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Cette carte, attribuée à Sébastien Cabot, pourrait avoir été réalisée en Espagne, lieu de séjour à cette époque du navigateur. Cependant les armes impériales présentes semblent indiquer qu’elle fut imprimée en Europe du Nord : Anvers ou Bruxelles.

Peu illustrée, cette carte apporte cependant une belle nouveauté zoologique : probablement la plus ancienne représentation d’ours blancs, que Cartier et bien d’autres avaient aperçus, et dont les navigateurs avaient noté l’habileté à pêcher les poissons (les fameux baccalaos, ou morues) en plongeant et à les agripper d’un coup de patte.

Plus au sud (en bas et à gauche), un félin de grande taille (jaguar, ocelot ?) et deux hommes vêtus d’une forme de toge (huipil mexicain ?) semblent associés et figurent visiblement les terres tropicales, au sud, conquises par les Espagnols.

Attribué au Dieppois Nicolas Vallard (mais légendé en portugais), cet atlas relié, composé de 15 cartes, accorde une place de choix au Nouveau monde avec 5 planches. La 9e est plus particulièrement consacrée à l’Amérique du Nord.

Outre cette caractéristique, l’atlas Vallard est d’une incontestable richesse iconographique. L’espace considéré est ici animé de plusieurs saynètes. Au centre, un groupe d’une trentaine d’Européens entoure un personnage principal, probablement Cartier. Un peu à l’écart, un homme (que certains identifient comme Roberval) pointe le doigt vers une direction mal identifiée : peut-être l’intérieur des terres, allusion à la pénétration des Français. Notons parmi ces hommes plusieurs femmes, rare représentation de la gent féminine en cartographie. La scène, très certainement, représente l’essai de colonisation engagé lors du troisième voyage de Cartier, auquel participaient quelque deux cents personnes des deux sexes, et leurs animaux domestiques (chiens jouant à leurs pieds). Le petit fortin de rondins, défendu par des canons en est l’évidente illustration.

Tout autour de ce groupe central, des personnages – à l’évidence des Indigènes – assistent à cette réunion. Vêtus de peaux de bêtes, certains chassant les cerfs avec arcs et flèches, ils sont les parfaites représentations d’un monde sauvage que l’Europe s’apprête à civiliser.

Par ses caractères iconographiques, la carte de Vallard marque une avancée certaine dans la représentation de l’Amérique et des Américains, jusqu’à la flore et la faune, ici bien présente : forêts touffues typiques de cette  région, et même deux ours semblant converser, ultime anecdote presque cachée dans l’angle inférieur droit de la planche.

Le célèbre cartographe dieppois a réalisé plusieurs mappemondes au milieu du XVIe siècle (1543, 1546, 1553, 1556). Celle de 1550 est probablement la plus intéressante pour notre propos.

Au centre, associé à une forteresse d’une architecture très européenne (royaume de Saguenay ?), un personnage domine l’ensemble par sa taille et sa tenue orientale. Les spécialistes y voient une représentation idéalisée de Jacques Cartier conversant avec un groupe de « Sauvages » fort agités. Il pourrait s’agir, sous toute réserve, de la fameuse anecdote des chamans de Donnacona (chef du village de Stadacona, près de l’actuelle Québec) tentant de dissuader les Français de se rendre à Hochelaga (Montréal aujourd’hui).

Tout autour du groupe central, plusieurs scènes animent l’ensemble de la carte. En bas à gauche, des ours, dont un ours blanc sur la banquise, chassent la morue, nouvelle allusion aux récits bien connus. Aux pieds et à droite de Cartier, deux villages sont figurés par les huttes de branchages : probablement représentations mal comprises des « maisons longues » des cultures iroquoiennes  Enfin plus en haut et à droite, dans les terres de l’Ouest encore inconnues, des Pygmées (ainsi dénommés par la légende) luttent contre de grands oiseaux (grues ?). Bien que de tels personnages aient été cités dans les récits de Cartier (d’après les propos de Donnacona), leur présence ici participe bien évidemment d’une géographie héritée des Classiques. Les deux licornes, visibles au-dessus et en dessous des dits Pygmées, en sont la preuve évidente.

Peu innovante, la carte de Desceliers aborde néanmoins un thème peu courant pour la région : la richesse minière. En haut et à droite, deux hommes, armés de pioches, éventrent une colline, référence probable aux efforts de Cartier dans sa recherche d’or.

Cet atlas de 56 cartes peut être considéré comme l’un des plus beaux de son époque, et peut-être l’un des plus précis. Cependant, et annonçant peut-être la sobriété des cartes du siècle suivant, la planche consacrée à l’Amérique du Nord (folio 56v) n’offre qu’une iconographie limitée à un paysage arboré et quelques animaux (renards, cerf, ours ou félin ?) sans oublier le curieux personnage accroupi près d’une palissade (singe ou sauvage ?). Cette sobriété tranche avec la richesse de l’iconographie consacrée aux autres régions de l’atlas.

Néanmoins plus intéressantes sont les représentations de villages fortifiés : elles fournissent une information non négligeable sur l’habitat des colons français de la région à cette époque. En revanche, l’inévitable référence aux Classiques est toujours présente : une espèce de griffon trônant fièrement près de la bannière fleurdelisée face à un château médiéval tout droit issu des enluminures médiévales.

Cette forteresse est ici aussi une claire allusion au royaume de Saguenay maintes fois cité par les sources indiennes. La rivière qui y mène en porte clairement le nom (Saguene). La ville actuelle de Saguenay est placée à cet endroit.

C’est en 1541 que le prêtre López de Gomara, accompagnant Charles-Quint dans son attaque d’Alger, rencontre Hernán Cortés dont il devient dès lors le chapelain et le biographe.

Son œuvre : Historia general de las Indias est publiée en 1552, soit cinq ans après la mort du conquistador.  Consacrée à la découverte et la conquête du Nouveau monde (alors que Gomara ne traversa jamais l’Atlantique), l’ouvrage est préfacé d’un texte dédié à Charles-Quint devenu célèbre : 

Très souverain Seigneur,
L’événement le plus important depuis la création du monde,
excepté l’incarnation et la mort de Celui qui l’a fait,
est la découverte des Indes, aussi appelées Nouveau Monde.

 Si une bonne partie de l’œuvre est consacrée à la conquête du Mexique, dont Cortés est le héros, certains chapitres abordent l’Amérique du Nord. C’est à cette occasion que Gomara décrit les bisons, « vacas corcovadas » (vaches à grandes cornes), déjà signalées par l’explorateur Cabeza de Vaca. : « …taureau à bosse entre les épaules, à crinière de cheval et tout autour de la tête, comme un lion… ». L’édition de 1553, illustre un bison, probablement la plus ancienne représentation de l’animal.

C’est en 1535 qu’Hochelaga, village iroquoien laurentien, est visité par Jacques Cartier qui nomme le lieu Mont Realis en référence aux collines cernant la région. L’explorateur en donne une description dans son récit de 1545 (Bref récit…) : une bourgade défendue par une palissade cernant une cinquantaine de « maisons longues », à l’instar de tous les villages du groupe iroquoien. Il ne  retrouvera pas le village lors de sa seconde visite, en 1541, probablement détruit par une incursion iroquoise, ou peut-être déplacé à la suite de l’épuisement des terres agricoles alentours, comme cela était souvent le cas.

Champlain y établira un poste de traite de la fourrure en 1611, par la suite abandonné devant les incursions iroquoises. Ce n’est qu’à partir de 1642, qu’à cet emplacement, est fondée une mission destinée à évangéliser les Indiens sous le nom de Ville-Marie. S’accroissant et se peuplant, Ville-Marie, en reprenant le nom que Cartier avait donné au lieu, deviendra plus tard Montréal.

Aucune illustration ne figurait dans les premières éditions des récits de Cartier. C’est donc pratiquement ex nihilo que le vénitien Giovanni Battista Ramusio y joint la présente gravure publiée en 1556 dans le 3eme tome de son ouvrage Navigationi e viaggi… (attribuée à Giacomo Gastaldi).

Comme l’on peut le noter, ce dessin n’a que fort peu de points communs avec la réalité, que ce soit du paysage (ici visiblement très italien avec ses champs cultivés et ses enclos) ou des villages indiens du Canada. Plan orthonormé, place centrale et rues aux tracés réguliers bordant des pâtés de maisons semblables, tout ici trahit les idéaux urbanistes de la Renaissance, projetés sur l’image idéalisée d’un âge d’or américain. Devant la porte d’entrée de la « ville », Cartier est accueilli par les notables indiens. Notons le serrement de main, tout à fait européen. Signalons également l’enfant chevauchant un bâton symbolisant un cheval (en bas à droite), image européenne s’il en est et bien peu conforme aux jeux d’un enfant amérindien, à moins que d’admettre qu’il imitait les cavaliers français…

Par cette gravure, Hochelaga devint ainsi la troisième cité américaine représentée par l’Occident, après Mexico et Cuzco.

Après avoir parcouru l’Italie et le Levant, André Thevet (1502-1590), prêtre franciscain, participa en 1555 à la tentative de la colonisation de la baie de Rio par  l’expédition de Villegagnon – comme aumônier. Malade, il ne pourra rester que quelques mois.

C’est à son retour en France qu’il se consacre à l’œuvre qui le rendra célèbre, publiée en 1557 : Les Singularitez de la France antarctique. Vivement critiqué de son vivant pour ses incohérences et son manque de précision, voire d’objectivité, ce texte reste cependant l’une des grandes références de la littérature ethnographique.

En 1559, André Thevet devient « cosmographe du roi » et assume même la responsabilité du cabinet des « singularitez » (des curiosités) fondé par François Ier.

Thevet publiera deux autres grands ouvrages : en 1575, la Cosmographie universelle (somme de documents consacrés aux populations des quatre continents connus) et, en 1584, Vrais portraits et vies des hommes illustres (associant sur un pied d’égalité les représentations de personnages de l’histoire européenne et du monde exotique).

Les Singularitez, comme plus tard la Cosmographie consacrent plusieurs chapitres aux Indiens d’Amérique du Nord, plus particulièrement ceux rencontrés par les Français. Trois planches en sont issues, ici publiées dans les Singularitez, qui peuvent être considérées comme les plus anciennes gravures consacrées à ce qui deviendra l’Amérique française.

Les références au monde européen (et classique) sont nombreuses dans l’œuvre de Thevet (ce qui est d’ailleurs une de ses caractéristiques) : ainsi les armées de piquiers s’affrontant en arrière-plan de la première gravure dans laquelle le seul acte de « sauvagerie » pourrait être l’utilisation de fagots enflammés pour enfumer l’ennemi. Notons en revanche, en haut et à gauche, les représentations réalistes des « maisons longues » indigènes.

Les deux autres, en revanche, accentuent l’aspect « exotique » de la situation : une chasse dont les participants utilisent des raquettes (peut-être la plus ancienne représentation de ce matériel ; et surtout, pour la dernière gravure, au sein d’un « triomphe » bien européanisé, des représentations de trophées particuliers – visages et cheveux des ennemis vaincus tendus sur des cadres circulaires. Ici également, se trouve probablement la plus ancienne représentation de ce type de rituel, rappelant fortement celui du « scalp ».

Disciple de Dürer et originaire de Liège, réfugié à Francfort en 1560 devant les persécutions anti-huguenotes, Théodore de Bry (1528-1598) y fonda le célèbre atelier de graveur que ses fils (Jean-Théodore et Jean-Israël) reprendront après sa mort. C’est dans ce lieu que seront réalisés, entre 1591 et 1634, les Grands voyages. Aussi appelée Histoire de l’Amérique ou Nouveau monde, cette collection (initialement en latin et en allemand) de 13 volumes consacrée à la conquête du continent reprenait les textes célèbres de chroniqueurs ou de voyageurs ayant réellement posé le pied sur le sol américain. Illustrée de près de 300 gravures, cette impressionnante somme est d’abord une vision européenne du Nouveau monde dans un contexte de rivalités coloniales et religieuses. Elle est de ce fait, notamment pour les volumes 4, 5 et 6 (consacrés aux conquêtes espagnoles), un violent réquisitoire contre l’action coloniale et évangélisatrice de l’Espagne. Ces images peuvent être considérées comme la source iconographique de la Légende noire anti-espagnole, aujourd’hui encore bien vivante.

Les trois présentes gravures sont issues du volume 2, réalisé en 1591, consacré à la tentative de colonisation de la Floride par les Français. Une quarantaine de gravures illustrent ainsi La Brève narration de Floride de Le Moyne de Morgues.

C’est en 1564 que le peintre et cartographe Jacques Le Moyne de Morgue (1533-1588) se joint à la seconde expédition de René de Laudonnière, gentilhomme huguenot qui, depuis 1562, tentait de créer une installation française dans l’actuelle Floride. Le Moyne ne restera sur place que quelques mois, échappant  de justesse, avec Laudonnière, à l’attaque espagnole qui, en septembre 1565, détruisit complètement et définitivement la colonie française.

Le Moyne ayant perdu presque tous ses dessins durant sa fuite, il est aujourd’hui difficile d’attribuer une réelle paternité aux gravures de la Brève narration. Il est plus que probable que celles-là aient été réalisées par De Bry à partir d’informations apportées par Le Moyne. Ces images sont donc, avec celles de l’Anglais John White, les plus anciennes représentations de Floridiens (plus particulièrement des Timucuas).

Bien que fort classiques dans la stylistique (canons maniéristes, finesse des détails permis par la gravure sur cuivre et en en taille douce) ces dessins n’en sont pas moins d’une grande précision. Cette justesse ethnographique  est notable pour les scènes de la vie quotidienne, de combats et de rituels (souvent sanglants), Notons enfin les coiffes « en chignon » ; elles auront plus tard un grand succès dans les représentations d’Indiens d’Amérique du Nord.

 

Trois gravures du volume 2 ont été ici choisies :

– Planche V (en haut) : Les Français  arrivent à l’embouchure d’un fleuve qu’ils baptisent Portus Regalis. Notons les représentations plutôt fidèles des plantes (cucurbitacées, vignes) et des animaux, notamment les dindons en bas à droite, probablement la plus ancienne représentation de ce volatile.

– Planche VIII (en bas à gauche) : Les Indiens vénèrent la colonne de Ribault, ornée des fleurs de lys, et dressée deux ans plus tôt sur les rives de la rivière Saint-Jean (près de l’actuelle Jacksonville). Le chef Atore la montre à Laudonnière. Parmi les fruits placés en offrande, des épis de maïs liés en botte peuvent être distingués : certainement l’une des plus anciennes représentations du « blé d’Inde ».

– Planche XV (en bas à droite) : « Comment les Indiens traitent les corps de leurs ennemis ». La gravure illustre ici deux actions fort violentes destinées à marquer l’esprit du lecteur. La première est une scène de cannibalisme, que l’on pourrait qualifier de traditionnelle, tant les images y faisant référence étaient déjà répandues. La seconde (à droite) est en revanche une « nouveauté » iconographique : une scène de scalp, certainement l’une des premières représentées en gravure. Elles connaîtront par la suite un grand succès.