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Monuments dédiés au père Marquette, Nancy (1930) et Laon (1937)

Né à Laon en 1637, au sein d’une famille très pieuse et respectée, Jacques Marquette rejoint le noviciat de la Compagnie de Jésus à Nancy en 1654. Il étudie dans plusieurs séminaires de l’ordre dans l’est de la France et rapidement sent naître sa vocation pour l’apostolat dans les terres lointaines. Ordonné prêtre à Toul en 1666, il s’embarque la même année pour la Nouvelle-France, comme missionnaire à la demande de son ordre.
Il y apprend rapidement les langues amérindiennes locales et, dès 1668, est envoyé dans la région des Grands Lacs où il fonde plusieurs missions dont celle de Saint-Ignace sur le détroit entre les lacs Michigan et Huron. Désormais et durant sa courte vie, Jacques Marquette se consacrera à l’évangélisation des populations autochtones de l’ouest des Grands Lacs.
C’est en décembre 1672, à la mission Saint-Ignace, que Marquette reçoit Louis Jolliet. Autre grand personnage de l’histoire de la découverte de la Nouvelle-France, Louis Jolliet (1645-1700) est chargé par le gouverneur Frontenac d’explorer les territoires de l’Ouest à la recherche d’un passage vers l’océan Pacifique. Il a pour instruction d’emmener avec lui le jésuite dont on sait les connaissances linguistiques. Après un long hivernage à Saint-Ignace, consacré à la préparation du voyage, vers la mi-mai 1673 est lancée la fameuse expédition qui rendra les deux hommes célèbres
Ainsi, durant plusieurs mois, Jolliet et Marquette accompagnés de cinq Métis traversent des régions jusque-là inexplorées à l’ouest des Grands Lacs puis atteignent le Mississippi qu’ils descendent jusqu’au confluent de l’Arkansas. Craignant de se heurter aux Espagnols, ils rebrousseront chemin à partir de juillet après avoir parcouru plus de 2000 km. Bien que n’ayant pas atteint l’embouchure du grand fleuve, ils avaient ainsi démontré qu’il coulait inexorablement vers le Sud.
En septembre 1673, l’expédition est de retour sur les rives du lac Michigan et ses membres se séparent. Alors que Jolliet retourne à Québec pour rendre compte de sa mission, Marquette, fort éprouvé par le voyage se réfugie au sein de la mission Saint-François-Xavier, sur la rive occidentale du lac. Il y reste plusieurs mois puis décide de reprendre son apostolat, notamment auprès des Illinois. Aux prix de grands efforts et de sa santé, il parvient jusqu’au village des Kaskaskia (à quelque 150 km au sud-ouest de l’actuelle Chicago) et y dit la messe de Pâques de 1675.
C’est donc considérablement affaibli qu’il entreprend le voyage de retour vers la mission de Saint-Ignace. Il ne l’atteindra pas et mourra (probablement de dysenterie) près de l’actuelle ville de Luddington sur la rive orientale du lac Michigan, à l’âge de 38 ans. Ses restes seront transférés en grande cérémonie deux ans plus tard jusqu’à la mission qu’il avait fondée.

Bien que certains auteurs et biographes aient relativisé l’importance de Marquette dans le fameux voyage et même dans son œuvre missionnaire, force est de reconnaître que le personnage est fort connu au Canada et aux Etats-Unis, où plusieurs cités, unités administratives, lieux-dits et parcs ainsi qu’une université et une compagnie de chemin de fer portent son nom, sans compter les très nombreux monuments, bas-reliefs, sculptures et peintures consacrés au jésuite explorateur (voir les importants travaux de Derome et alii).
Figure incontournable de l’histoire de la Nouvelle-France, le père Marquette, à qui l’on attribue la « découverte » du Mississippi, semble en revanche subir en France une ignorance particulière. Si l’on excepte quelques noms de rues et de quartiers, à notre connaissance seuls deux monuments commémoratifs lui ont été dédiés : à Nancy et Laon.

Le monument de Nancy
C’est à Nancy, terre du noviciat de Marquette, que le premier est érigé. Commandée par la Compagnie de Jésus en 1930 à Victor Huel fils (1875-1953), artiste nancéen spécialisé dans les thèmes religieux, la statue orne le centre de la façade d’un bâtiment destiné à abriter un foyer pour étudiants (actuellement 5, rue Baron). Réalisée en grandeur nature, cette ronde-bosse de pierre repose sur une console représentant une tête d’Indien coiffé d’une couronne de plumes, dans la meilleure tradition des allégories. L’oeuvre semble visiblement inspirée d’une gravure (signée « P. de Martino ») publiée dans l’ouvrage du père Lejosne (voir bibliographie), alors aumônier de l’institution et certainement l’instigateur de cette réalisation. Vêtu de la traditionnelle tenue, le père Marquette tient dans une main une carte, allusion à son expédition et de l’autre présente bien haut la croix.
Il est plus que probable que ce symbole fut au cœur des difficultés rencontrées pour la réalisation du second monument commémoratif.

 
Statue de Marquette par Huel, 1931, façade du 5, rue Baron, Nancy (in Derome)

Le monument de Laon
Dès septembre 1900, à l’occasion du XIIe Congrès international des Américanistes tenu à Paris, avait pourtant été proposé, à l’initiative d’Henri Cordier, certes sinologue mais né à la Nouvelle-Orléans, l’érection d’une statue à la mémoire du père Marquette dans la cité de Laon, terre natale du Jésuite. Cette proposition avait été cependant repoussée par la municipalité ; décision très certainement liée à l’anticléricalisme d’une partie du monde politique en cette période de relations tendues entre l’Église et la jeune IIIe République.
Il faut ainsi attendre 1910 pour que la Société académique de la ville émette le désir de voir un monument érigé à la mémoire du prêtre, à l’exemple de ceux dressés à l’époque aux Etats-Unis. Soutenu ardemment par l’historien et journaliste Charles Westercamp et par Gabriel Hanotaux  diplomate et fondateur l’année précédente du Comité France-Amériques (tous deux de la région), ce souhait ne sera pourtant pas concrétisé avant le milieu des années trente.
Le contexte intérieur est cette fois favorable (apaisement des rivalités politico-religieuses) et de plus, l’approche du troisième centenaire de la naissance du missionnaire, entraînant de nombreuses cérémonies aux Etats-Unis, influence l’opinion des édiles. Un comité est donc constitué dès 1936 pour la réalisation d’un monument. L’annonce de ce projet entraînera de l’autre côté de l’Atlantique des témoignages de soutien variés (dalle de granit gravée aux armes de la France offerte par la ville de Chicago) et parfois originaux (coffret de sable provenant du lieu du décès du missionnaire, eau du Mississippi).
Cependant les résultats de la souscription ouverte en France n’autoriseront pas la réalisation d’une oeuvre en ronde-bosse mais d’un bas-relief en bronze, créé par Jean Topin, artiste du lieu, et fondu dans les ateliers Barbedienne.
Très curieusement, l’œuvre de Topin ne s’inscrit pas dans les représentations traditionnelles du jésuite telles qu’on les connaît, principalement aux Etats-unis, navigant dans son canoë ou prêchant en brandissant le crucifix. Marquette est ici représenté debout, dans une position neutre, presque hiératique. Un arrière-plan sobre montre des collines et un cours d’eau sur lequel l’inévitable canoë figure, occupé par deux Indiens, claire allusion à ses voyages. La croix est ici à peine visible, glissée dans la ceinture et aucun autre attribut religieux n’apparaît hormis la tenue ecclésiastique. En revanche, un carnet ou une carte est clairement visible dans la main gauche alors que la main droite tient un crayon. En représentant l’explorateur au service de la France plutôt que le missionnaire catholique, Topin sacrifia probablement aux exigences d’une laïcité sourcilleuse.
Inauguré en juin 1937, en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis, le monument se trouvait primitivement dans un jardin non loin de la porte de Soissons dans la partie sud-ouest de la vieille ville, où il sera peu à peu oublié. Restauré (en perdant hélas les piliers latéraux Art-déco trop dégradés), il a été déplacé en 2004 dans un espace aménagé pour lui, situé non loin de l’hôtel de ville et qui désormais porte son nom.

Monument commémoratif dédié au père Marquette, par Topin, dans sa version de 1937 (in Thierry, 2007)


Bas-relief du monument actuel

Sources : Derome, 2015-2018 ; Deslandres, 2003 ; Lejosne, 1930 ; Monet, 2003 ; Parkman, 1968 ; Thierry, 2007.